ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE
RESSOURCES philosophiques
de l'académie de Créteil
« S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. » ROUSSEAU
HOBBES
HOBBES : LEVIATHAN – Traduction de Philippe Folliot avec notes.
Chapitre 20 – Chapitre 22 - Sommaire des chapitres traduits avec notes - Index Philotra
Chapitre 21 : De la liberté des sujets
LIBERTY ou FREEDOM [1] signifient proprement l'absence d'opposition (par opposition, j'entends les obstacles extérieurs [2] au mouvement) et ces deux mots peuvent être appliqués aussi bien aux créatures sans raison [3] et inanimées qu'aux créatures raisonnables [4]; car quelle que soit la chose qui est si liée, si entourée, qu'elle ne peut pas se mouvoir, sinon à l'intérieur d'un certain espace, lequel espace est déterminé par l'opposition [5] de quelque corps extérieur, nous disons que cette chose n'a pas la liberté d'aller plus loin. Et il en est ainsi des créatures vivantes, alors qu'elles sont emprisonnées, ou retenues par des murs ou des chaînes, et de l'eau, alors qu'elle est contenue par des rives ou par des récipients, qui autrement se répandrait dans un espace plus grand ; et nous avons coutume de dire qu'elles ne sont pas en liberté de se mouvoir de la manière dont elles le feraient sans ces obstacles extérieurs. Mais quand l'obstacle au mouvement est dans [6] la constitution de la chose elle-même, nous n'avons pas coutume de dire qu'il lui manque la liberté, mais nous disons qu'il lui manque le pouvoir de se mouvoir; comme quand une pierre demeure immobile ou qu'un homme est cloué au lit par la maladie.
Et selon le sens propre, et généralement reçu, du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, pour ces choses qu'il est capable de faire par sa force et par son intelligence [7], n'est pas empêché de faire ce qu'il a la volonté [8] de faire. Mais quand les mots libre et liberté sont appliqués à autre chose que des corps, ils sont employés abusivement [9]. En effet, ce qui n'est pas sujet [10] au mouvement n'est pas sujet à des empêchements, et donc, quand on dit, par exemple, que le chemin est libre, l'expression ne signifie pas la liberté du chemin, mais la liberté de ceux qui marchent sur ce chemin sans être arrêtés [11]. Et quand nous disons qu'un don est libre [12], nous n'entendons pas [par là] une quelconque liberté du don [13], mais celle du donateur, qui n'était pas tenu [14] par une loi ou une convention de le faire. De même, quand nous parlons librement, ce n'est pas la liberté de la voix, ou de la prononciation, mais celle de l'homme, qu'aucune loi n'a obligé à parler [15] autrement qu'il ne l'a fait. Enfin, de ce que nous utilisons les mots libre volonté [16], nous ne pouvons inférer aucune liberté de la volonté, du désir, ou de l'inclination, mais [il s'agit] de la liberté de l'homme, qui consiste en ce qu'il ne se trouve pas arrêté dans l'exécution [17] de ce qu'il a la volonté, le désir, ou l'inclination de faire.
La crainte et la liberté sont compatibles [18]. Ainsi, quand un homme jette ses biens à la mer, parce qu'il craint que le bateau ne coule, il le fait cependant tout à fait volontairement, et il peut refuser de le faire s'il le veut. C'est donc l'action de quelqu'un qui était alors libre. De même, un homme paie parfois ses dettes, seulement par crainte de la prison, et c'était alors l'acte d'un homme en liberté [19], parce qu'aucun corps ne l'empêchait de conserver [l'argent]. Et en général, toutes les actions que les hommes font dans les Républiques, par crainte de la loi, sont des actions dont ils avaient la liberté de s'abstenir [20].
La liberté et la nécessité sont compatibles [21], comme dans le cas de l'eau qui n'a pas seulement la liberté, mais qui se trouve [aussi] dans la nécessité de s'écouler en pente en suivant le lit [du fleuve] [22]. Il en est de même pour les actions que les hommes font volontairement, qui, parce qu'elles procèdent de leur volonté, procèdent de la liberté; et cependant, parce que chaque acte de la volonté de l'homme et chaque désir et chaque inclination procèdent de quelque cause, et cette cause d'une autre cause, dans une chaîne continue (dont le premier maillon est dans la main de Dieu [23], la première de toutes les causes), [ces actions] [24] procèdent de la nécessité. De sorte que, à celui qui pourrait voir la connexion de ces causes, la nécessité de toutes les actions des hommes apparaîtrait évidente [25]. Et Dieu, par conséquent, qui voit et dispose toutes choses, voit aussi que la liberté de l'homme [26] quand il fait ce qu'il veut [27] est accompagnée de la nécessité de faire ce que Dieu veut, ni plus, ni moins. Car quoique les hommes puissent faire de nombreuses choses que Dieu ne commande pas [28], dont il n'est par conséquent pas l'auteur, ils ne peuvent cependant avoir de passion ou d'appétit pour quelque chose, dont la volonté de Dieu ne soit pas la cause [29]. Et si la volonté de Dieu ne garantissait pas la nécessité de la volonté de l'homme, et par conséquent de tout ce qui dépend de la volonté de l'homme, la liberté des hommes contredirait et empêcherait l'omnipotence et la liberté de Dieu [30]. Et cela suffira, quant à la question qui nous intéresse, sur cette liberté naturelle, qui seule est proprement appelée liberté.
Mais de même que les hommes, pour parvenir à la paix et par là se conserver eux-mêmes, ont fabriqué un homme artificiel, que nous appelons une République, ils ont aussi fabriqué des chaînes artificielles, appelés lois civiles, qu'ils ont eux-mêmes, par des conventions mutuelles, attachées [31] à une extrémité aux lèvres de cet homme, ou de cette assemblée, à qui ils ont donné le pouvoir souverain, et à l'autre extrémité à leurs propres oreilles. Bien que ces liens, par leur propre nature [32], soient fragiles [33], on peut néanmoins faire en sorte qu'ils tiennent, non parce qu'il est difficile de les rompre, mais parce qu'il y a danger à les rompre.
C'est seulement par rapport à ces liens que j'ai maintenant à parler de la liberté des sujets. Vu qu'il n'existe aucune République dans le monde où suffisamment de règles [34] soient formulées pour régler toutes les actions et paroles des hommes (c'est une chose impossible), il s'ensuit nécessairement que, pour toutes les espèces d'actions [35] et paroles que les lois ont passées sous silence [36], les hommes ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur suggérera [37] comme leur étant le plus profitable. En effet, si nous prenons la liberté au sens propre de liberté corporelle, c'est-à-dire le fait de ne pas être enchaîné ou en prison [38], il serait tout à fait absurde de revendiquer à grands cris [39] une liberté [40], comme le font [pourtant] les hommes, dont ils jouissent si manifestement. En outre, si nous considérons la liberté comme le fait d'être affranchi [41] des lois, il n'est pas moins absurde de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté par laquelle tous les autres hommes peuvent se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c'est ce qu'ils réclament, ne sachant pas que les lois ne sont d'aucun pouvoir pour les protéger sans une épée dans les mains d'un homme, ou de plusieurs, pour les faire exécuter. Par conséquent, la liberté d'un sujet [42] ne se trouve que dans ces choses que le souverain, en réglant les actions des hommes, a passées sous silence, comme la liberté d'acheter, de vendre, ou de passer d'autres contrats les uns avec les autres [43], de choisir leur domicile personnel, leur alimentation personnelle, leur métier personnel [44], et d'éduquer leurs enfants comme ils le jugent bon, et ainsi de suite.
Cependant, il ne faut pas comprendre que le pouvoir souverain de vie est de mort est ou aboli, ou limité par une telle liberté. En effet, il a déjà été montré que le représentant souverain ne peut rien faire à un sujet, sous quelque prétexte que ce soit, qui puisse être appelé injustice ou tort [45], parce que chaque sujet est auteur de chaque acte accompli par le souverain, de sorte que le droit à une chose quelconque ne lui fait jamais défaut [46], sinon en tant qu'il est lui-même le sujet de Dieu, et est tenu par là d'observer les lois de nature. Et donc, il peut arriver, et il arrive souvent, dans les Républiques, qu'un sujet puisse être mis à mort par ordre du pouvoir souverain [47], et que cependant aucun des deux n'ait causé un tort à l'autre [48], comme quand Jephté [49] fit sacrifier sa fille, cas où, comme dans des cas semblables, celui qui meurt ainsi avait la liberté [50] de faire l'action [51] pour laquelle il est mis à mort, sans qu'un tort [52] lui soit néanmoins causé [53]. Et cela est aussi valable dans le cas d'un prince souverain qui met à mort un sujet innocent. Car quoique l'action soit contraire à la loi de nature, comme dans le cas du meurtre d'Urie par David [54], en tant que contraire à l'équité, elle n'est cependant pas un tort causé à Urie mais un tort causé à Dieu. Pas à Urie, parce que le droit de faire ce qui lui plaisait lui fut donné par Urie lui-même [55], mais cependant à Dieu, parce que David était sujet de Dieu qui interdit toute iniquité par la loi de nature; laquelle distinction David lui-même confirma manifestement en se repentant, quand il dit : Contre toi seulement j'ai péché [56]. De la même manière, le peuple d'Athènes, quand il bannissait pour dix ans le plus puissant de sa République, croyait ne pas commettre une injustice et il ne demandait [57] jamais quel crime il avait fait, mais quel mal il pourrait faire [58]. Mieux ! Il ordonnait [59] le bannissement de quelqu'un qu'il ne connaissait pas, et chaque citoyen apportait sa coquille d'huître [60] sur la place du marché, avec écrit dessus le nom de celui qu'il désirait voir bannir, sans l'accuser véritablement de quelque chose. Le peuple bannissait tantôt un Aristide [61], pour sa réputation de justice, tantôt un vil bouffon [62], comme Hyperbolos [63], histoire de railler l'ostracisme [64]. Pourtant, on ne peut pas dire que le droit de les bannir faisait défaut [65] au souverain peuple d'Athènes, ou que la liberté de plaisanter [66] ou d'être juste faisait défaut à un Athénien.
La liberté qui est si fréquemment mentionnée et avec tant d'honneur dans les livres d'histoire et de philosophie des anciens Grecs et Romains, et dans les écrits et paroles de ceux qui ont reçu d'eux tout ce qu'ils ont appris chez les auteurs politiques, n'est pas la liberté des particuliers, mais la liberté de la République, qui est la même que celle qu'aurait chacun s'il n'y avait pas du tout de lois civiles et de République. Et les effets seraient aussi les mêmes. Car, de même que parmi des hommes sans maître [67], il y a une guerre permanente de chaque homme contre son voisin, aucun héritage à transmettre au fils, ou à attendre du père, aucune propriété des biens et des terres, aucune sécurité, mais [seulement] une liberté pleine et absolue en chaque particulier, de même, dans les États et Républiques [68] qui ne dépendent pas l'un de l'autre, chaque République, non chaque homme, a une liberté absolue de faire ce qu'elle jugera, c'est-à-dire ce que cet homme ou cette assemblée qui la [69] représente jugera contribuer à son avantage. Mais en même temps, les Républiques vivent dans un état de guerre permanente, [toujours] à la limite de se battre [70], avec leurs frontières armées, et les canons pointés en direction des voisins [71]. Les Athéniens et les Romains étaient libres, c'est-à-dire que leurs Républiques étaient libres ; non que des particuliers avaient la liberté de résister à leur propre représentant, mais que leur représentant avait la liberté de résister à d'autres peuples, ou de les envahir. De nos jours, le mot LIBERTAS est écrit en gros caractères sur les tourelles de la cité de Lucques [72], et cependant personne ne peut en inférer qu'un particulier y est plus libre ou y est plus dispensé de servir la République [73] qu'à Constantinople. Qu'une République soit monarchique ou qu'elle soit populaire, la liberté reste la même.
Mais les hommes sont facilement trompés par la dénomination spécieuse de liberté, et, par manque de jugement pour faire des distinctions, ils prennent faussement pour leur héritage privé et leur droit de naissance ce qui est le droit de la seule chose publique [74]. Et quand la même erreur reçoit la confirmation de l'autorité d'hommes réputés pour leurs écrits sur le sujet, il n'est pas étonnant quelle produise la sédition et le renversement du gouvernement [75]. En occident, nous sommes déterminés à recevoir nos opinions sur l'institution et les droits des Républiques d'Aristote, de Cicéron, et d'autres Grecs ou Romains qui, vivant sous des États populaires, ne tirèrent [76] pas ces droits des principes de la nature, mais les transcrivirent dans leurs livres à partir de la pratique [77] de leurs propres Républiques, qui étaient populaires, comme les grammairiens décrivent les règles du langage à partir de la pratique de leur époque, ou les règles de la poésie à partir des poèmes d'Homère et de Virgile. Et parce qu'on enseignait aux Athéniens (pour les empêcher de désirer renverser leur gouvernement) qu'ils étaient des hommes libres, et que tous ceux qui vivaient sous la monarchie étaient esclaves, Aristote écrivit dans ses Politiques [78] : On doit, en démocratie, supposer [79] la liberté, car on soutient communément que personne n'est libre dans aucun autre gouvernement. Et comme Aristote, Cicéron et d'autres auteurs ont fondé leur doctrine civile [80] sur les opinions des Romains, à qui la haine de la monarchie avait été enseignée, d'abord par ceux qui avaient déposé leur souverain et partagé entre eux la souveraineté de Rome, et ensuite par leurs successeurs. Et, lisant les auteurs grecs et latins depuis leur enfance, les hommes ont pris l'habitude, sous une fausse apparence de liberté [81], de favoriser l'agitation, de contrôler [82] sans retenue [83] les actions de leurs souverains, puis de contrôler ceux qui contrôlent, avec une telle effusion de sang que je pense pouvoir sans dire sans me tromper [84] que rien n'a jamais été payé si cher que l'apprentissage par l'Occident des langues grecque et latine.
Pour en venir maintenant aux détails de la véritable liberté d'un sujet [85], c'est-à-dire aux choses que, quoiqu'elles soient ordonnées par le souverain, le sujet peut cependant sans injustice refuser de faire, nous devons envisager quels droits nous transmettons quand nous construisons une République, ou, ce qui est tout un, de quelle liberté nous nous privons en faisant nôtres [86] toutes les actions, sans exception, de l'homme ou de l'assemblée dont nous faisons notre souverain. Car c'est dans l'acte de notre soumission que consistent à la fois notre obligation et notre liberté, [obligation et liberté] [87] qui doivent donc être inférées d'arguments tirés de cet acte, un homme n'ayant aucune obligation sinon celle provenant de quelque acte fait de son propre gré; car tous les hommes sont naturellement égaux. Et parce que ces arguments doivent soit être tirés de paroles expresses ("J'autorise toutes ses actions"), soit de l'intention de celui qui se soumet au pouvoir (laquelle intention doit être comprise par la fin que vise celui qui se soumet ainsi), l'obligation et la liberté du sujet doivent provenir soit de ces paroles, ou d'autres paroles équivalentes, soit, autrement, de la fin de l'institution de la souveraineté, à savoir la paix entre les sujets, et leur défense contre l'ennemi commun.
Premièrement, donc, vu que la souveraineté par institution est issue d'une convention de chacun envers chacun, et la souveraineté par acquisition de conventions du vaincu envers [88] le vainqueur, ou de l'enfant envers le parent, il est évident [89] que chaque sujet dispose de liberté en toutes ces choses dont le droit n'a pas pu être transmis par convention. J'ai montré précédemment, au chapitre quatorze, que les conventions [où l'on stipule] qu'on ne défendra pas son propre corps sont nulles. Par conséquent,
Si le souverain ordonne à un homme, même justement condamné, de se tuer, de se blesser, ou de se mutiler, ou de ne pas résister à ceux qui l'attaquent, ou de s'abstenir [90] d'user de nourriture, d'air, de médicaments, ou de quelque autre chose sans laquelle il ne peut vivre, cet homme a cependant la liberté de désobéir.
Si un homme est interrogé par le souverain, ou par quelqu'un à qui il a conféré cette autorité [91], sur un crime qu'il a commis, il n'est pas tenu (sans l'assurance du pardon) d'avouer, parce que personne, comme je l'ai montré dans le même chapitre, ne peut être obligé par convention de s'accuser.
D'ailleurs, le consentement d'un sujet au pouvoir souverain est contenu dans ces paroles, J'autorise, ou prends sur moi [92], toutes ses actions; paroles en lesquelles il n'y a aucune restriction de la liberté naturelle personnelle [93] d'avant [la convention], car, en autorisant le souverain à me tuer, je ne suis pas tenu de me tuer quand il me l'ordonne. C'est une chose de dire Tue-moi, ou tue mon semblable, si tu le veux, une autre de dire je me tuerai, ou je tuerai mon semblable. Il s'ensuit donc que,
Nul n'est tenu, par les paroles elles-mêmes, soit de se tuer, soit de tuer un autre homme, et, par conséquent, l'obligation qu'on peut parfois avoir, sur ordre du souverain, d'exécuter une fonction dangereuse ou déshonorante, ne dépend pas des paroles de notre soumission, mais de l'intention, qu'il faut entendre par la fin visée par cette soumission. Quand donc notre refus d'obéir contrecarre la fin pour laquelle la souveraineté fut ordonnée [94], alors nous n'avons aucune liberté de refuser. Sinon, nous l'avons.
[En raisonnant] sur la même base [95], un homme, à qui l'on ordonne, en tant que soldat, de combattre l'ennemi, quoique son souverain ait un droit suffisant pour punir de mort son refus, peut néanmoins, dans de nombreux cas, refuser sans injustice, comme quand il se fait remplacer par un soldat suffisamment apte, car dans ce cas il ne déserte pas le service de la République. Et on doit tenir compte [96] de la crainte naturelle [97], non seulement des femmes (de qui on n'attend aucun service dangereux de ce type), mais aussi des hommes d'un courage féminin. Quand des armées combattent, il y a d'un côté, ou des deux, des soldats qui s'enfuient; cependant, s'ils ne le font pas dans l'idée de trahir, mais qu'ils le font par crainte, on n'estime pas que c'est injuste, mais que c'est déshonorant. Pour la même raison, éviter la bataille n'est pas injustice mais lâcheté. Mais celui qui s'enrôle comme soldat, ou qui touche une prime d'engagement [98], perd l'excuse d'une nature craintive, et il est obligé, non seulement d'aller combattre, mais aussi de ne pas fuir le combat sans la permission de son capitaine. Et quand la défense de la République requiert sur-le-champ l'aide de tous ceux qui sont capables de porter les armes, chacun est obligé, parce qu'autrement la République, qu'ils n'ont pas le dessein ou le courage de protéger, a été instituée en vain.
Nul n'a la liberté de résister à l'épée de la République pour défendre un autre homme, coupable ou innocent, parce qu'une telle liberté prive le souverain des moyens de nous protéger, et détruit donc l'essence même du gouvernement. Mais au cas où un grand nombre d'hommes ont ensemble déjà résisté injustement au pouvoir souverain, ou commis quelque crime capital pour lequel chacun d'eux s'attend à être mis à mort, n'ont-ils pas alors la liberté de s'unir, de s'entraider, et de se défendre les uns les autres ? Certainement, ils l'ont, car ils ne font que défendre leurs vies, ce que le coupable peut faire aussi bien que l'innocent. C'était certes une injustice quand ils ont d'abord enfreint leur devoir : le fait de rester en armes [99] à la suite de cela, même si c'est pour continuer leur action, n'est pas un nouvel acte injuste. Et si c'est seulement pour défendre leurs personnes, il n'est pas injuste du tout. Mais l'offre de pardon ôte à ceux à qui elle est faite l'excuse de la légitime défense [100] et rend illégitime le fait de continuer à secourir ou défendre les autres.
Les autres libertés dépendent du silence de la loi [101]. Dans les cas où le souverain n'a prescrit aucune règle, le sujet a alors la liberté de faire ou de s'abstenir, cela à sa propre discrétion [102]. Par conséquent, une telle liberté est plus importante en certains lieux, moins importante en d'autres, plus importante à certains moments, moins importante à d'autres, selon ce que ceux qui possèdent la souveraineté jugeront le plus opportun [103]. Par exemple, il fut un temps où, en Angleterre, un homme pouvait entrer sur ses propres terres, et expulser ceux qui en avaient pris illégalement possession, et toute cela par la force [104]. Mais, par la suite, cette liberté d'entrer de force fut supprimée par une loi [105] faite par le roi en son Parlement. Et en certains endroits du monde, les hommes ont la liberté d'avoir plusieurs épouses, [tandis que] dans d'autres, cette liberté n'est pas reconnue [106].
Si un sujet a un litige avec son souverain, pour une dette, un droit de possession de terres ou de biens, un service qu'on exige de lui, une peine corporelle ou pécuniaire, sur la base d'une loi antérieure [107], il a la même liberté de faire une action en justice pour [défendre] son droit [108] que si c'était contre un [autre] sujet, devant des jugés nommés par le souverain [109]. En effet, vu que ce qu'exige le souverain est exigé en application de la loi antérieure, et non en vertu de son pouvoir [110], il déclare par là qu'il n'exige rien de plus que ce qu'on jugera être dû en application de la loi [111]. La requête [112] n'est donc pas contraire à la volonté du souverain, et le sujet a donc la liberté de demander que le juge entende [113] sa cause et [rende] une sentence conforme à la loi. Mais si le souverain revendique ou prend quelque chose en se réclamant de son pouvoir [114], il n'existe, en ce cas, aucune action juridique [possible], car tout ce qui est fait par lui en vertu de son pouvoir est fait avec l'autorisation de chaque sujet et, par conséquent, celui qui intente [115] une action contre le souverain intente une action contre lui-même.
Si un monarque, ou une assemblée souveraine concède une liberté [116] à tous ses sujets ou à certains de ses sujets, laquelle concession durant, ce monarque, ou assemblée, est incapable de pourvoir à leur sécurité, la concession est nulle, à moins que ce souverain n'abandonne ou ne transfère immédiatement [117] la souveraineté à un autre. Car, en tant qu'il pouvait ouvertement (si cela avait été sa volonté), et en termes clairs [118], abandonner ou transférer cette souveraineté et qu'il ne l'a pas fait, on doit comprendre que ce n'était pas sa volonté, mais que la concession procédait de l'ignorance de la contradiction existant entre une telle liberté et le pouvoir souverain; et donc la souveraineté est conservée [par le souverain], et, par conséquent, tous les pouvoirs qui sont nécessaires à son exercice, tels que le pouvoir de guerre et de paix, le pouvoir de juger, le pouvoir de nommer des officiers [119] et des conseillers, celui de lever des impôts, et les autres, cités au chapitre XVIII.
L'obligation des sujets envers le souverain est censée durer aussi longtemps, mais pas plus, que le pouvoir qui est capable de les protéger, car le droit que les hommes ont par nature de se protéger quand personne d'autre ne peut le faire, n'est pas un droit dont on peut se dessaisir par convention [120]. La souveraineté est l'âme [121] de la République, et quand elle est séparée du corps, les membres ne reçoivent plus d'elle leur mouvement. La fin de l'obéissance [122] est la protection, et quel que soit l'endroit où un homme voit cette protection, que ce soit dans sa propre épée ou dans celle d'un autre, la nature le porte à obéir à cette épée et à s'efforcer de la soutenir [123]. Et quoique la souveraineté, dans l'intention de ceux qui l'instituent, soit immortelle, pourtant non seulement elle est par sa propre nature sujette à la mort violente par une guerre avec l'étranger, mais aussi elle porte en elle [124], dès son institution même, par l'ignorance et les passions des hommes, de nombreux germes d'une mortalité naturelle, à cause de la discorde intestine [125].
Si un sujet est fait prisonnier à la guerre, ou que ses moyens d'existence soient aux mains de l'ennemi, et qu'on lui accorde [126] la vie et la liberté corporelle à condition d'être assujetti au vainqueur, il a la liberté d'accepter la condition, et, l'ayant acceptée, il est le sujet de celui qui l'a capturé, puisqu'il n'avait aucune autre façon de se conserver [en vie]. Le cas est le même s'il est détenu [127], aux mêmes conditions, dans un pays étranger. Mais si un homme est retenu en prison, ou dans des chaînes, ou qu'on ne lui confie [128] pas la liberté de son corps, il n'est pas censé être tenu à la sujétion par convention, et il peut donc s'évader par n'importe quel moyen.
Si un monarque abandonne la souveraineté, tant pour lui-même que pour ses héritiers, ses sujets retournent à la liberté absolue de nature [129], parce que, quoique la nature puisse faire savoir [130] qui sont ses fils, et qui sont ses plus proches parents [131], cependant il appartient au souverain, par sa propre volonté, comme il a été dit au chapitre précédent, [de désigner] qui sera son héritier. Si donc il ne veut pas d'héritier [132], il n'y a ni souveraineté, ni sujétion. Le cas est le même s'il meurt sans parenté connue, et sans avoir fait connaître son héritier, car alors, il ne peut y avoir aucun héritier connu et, par conséquent, aucune sujétion n'est due.
Si le souverain bannit l'un de ses sujets [133], durant le bannissement il n'est pas sujet. Mais celui qui transmet [134] un message [à l'étranger] [135], ou qui a l'autorisation d'y voyager, demeure sujet, mais c'est par contrat entre souverains, non en vertu de la convention de sujétion; car quiconque entre sous la domination [d'un autre souverain] est sujet de toutes les lois de ce souverain, à moins qu'il n'ait un privilège [136] dû à la bonne entente des souverains ou à une autorisation spéciale.
Si un monarque, ayant perdu la guerre, s'assujettit au vainqueur, ses sujets sont libérés de leur précédente obligation, et ils deviennent obligés envers le vainqueur. Mais s'il est retenu prisonnier, ou s'il n'a pas la liberté de son propre corps, il n'est pas censé avoir renoncé au droit de souveraineté, et ses sujets sont donc obligés d'obéir aux magistrats précédemment mis en place, qui ne gouvernent pas en leur propre nom, mais au nom du souverain [137]. En effet, son droit demeurant, la question est seulement celle de l'administration, c'est-à-dire des magistrats et des officiers, et on suppose que, si le souverain n'a aucun moyen de les nommer, il approuve ceux qu'il a lui-même précédemment nommés [138].
Traduction Philippe Folliot
Version téléchargée en août 2003.
[1] La traduction de G. Mairet ("franchise") risque d'orienter le lecteur vers de fausses interprétations. (NdT)
[2] Ce "extérieurs" est tout à fait essentiel pour comprendre la suite. Voir en particulier la note sur contingence, pour le paragraphe sur la crainte et la liberté. D'autre part, le deuxième paragraphe fait comprendre qu'à ces obstacles extérieurs, il faut ajouter des contraintes extérieures (voir plus loin : "qu'aucune loi n'a obligé ...") (NdT)
[3] "irrational". (NdT)
[4] "than to rational". D'emblée, et si le lecteur fort distrait avait besoin de cela, Hobbes situe d'emblée la question, de façon très polémique, sur le terrain d'une liberté non métaphysique (l'anti-cartésianisme de Hobbes est visible - Voir, d'ailleurs, ses objections aux Méditations métaphysiques). Le matérialisme mécaniste de Hobbes se trouve ici très clairement réaffirmé. Le lecteur non familier de Hobbes aura intérêt à lire et relire le début de ce chapitre, en ayant bien à l'esprit la différence entre liberté de spontanéité (d'action) et libre arbitre. Ce même lecteur gagnera intellectuellement à comparer la métaphysique française à la philosophie anglaise sur cette question (voir aussi les auteurs postérieurs à Hobbes) et à s'interroger sur le sens fondamental des différences. (NdT)
[5] G. Mairet traduit par "résistance" le mot "opposition" alors qu'il vient de le traduire précédemment par "opposition". (NdT)
[6] G. Mairet ne tient pas compte du "in" en traduisant : "si l'obstacle au mouvement est la constitution ...". (NdT)
[7] "wit" : esprit, intelligence, qualités d'esprit. Il ne faut pas prendre ici le mot "intelligence" dans un sens trop étroit. Il s'agit des compétences d'esprit d'un individu. Le texte latin utilise le mot "ars": talent, compétence, habileté. (NdT)
[8] Ici au sens non d'une faculté mais de l'acte de vouloir (revoir à ce sujet le chapitre VI). (NdT)
[9] "they are abused". (NdT)
[10] "subject". F. Tricaud et G. Mairet traduisent par "susceptible"( étant très certainement influencé par les sens les plus courants du mot français "sujet"). Or, le mot "subject" est un mot clef de la pensée politique de Hobbes (dont les sens sont : sujet, assujetti, soumis) dont la dimension dynamique s'enracine dans une physique des forces. On ne peut pas se permettre de le gommer ici. (NdT)
[11] La traduction de G. Mairet ("sans obstacle") est assez maladroite. Elle laisse croire que le mot utilisé par Hobbes est le même que précédemment. Or, il avait employé précédemment le mot "impediment", et il écrit maintenant "without stop". (NdT)
[12] "a gift is free". (NdT)
[13] Bizarre traduction de G. Mairet, fort peu conforme à la vision mécaniste de Hobbes : "on ne veut pas dire que la liberté est dans (souligné par nous) la donation". (NdT)
[14] "bound". Le verbe est "to bind" : sens premier, lier, attacher. Par extension, tenu, astreint, contraint, etc.. (NdT)
[15] On notera que Hobbes utilise le même verbe deux fois dans cette phrase ("to speak"). La traduction doit être la même. (NdT)
[16] "free will": le libre arbitre. L'opposition à Descartes est nette. On pourra relire les objections hobbesiennes aux Méditations métaphysiques. On pourra aussi faire des rapprochements entre Hobbes et Spinoza sur cette question (sans oublier les différences : la matière n'est chez Spinoza qu'un mode de la substance). On notera une certaine constance de cette critique du libre arbitre dans la philosophie empiriste anglaise (voir par exemple Hume, en particulier Traité de la Nature humaine et Enquête sur l'Entendement humain. (NdT)
[17] Hobbes dit simplement "in doing". (NdT)
[18] "Fear and liberty are consistent". Sur le mot "consistent", voir note plus bas. (NdT)
[19] "at liberty". (NdT)
[20] Il ne faut évidemment pas voir dans ce paragraphe une affirmation de la contingence, cette dernière ne pouvant avoir aucune place dans le nécessitarisme de notre auteur. Si le lecteur a en tête la définition hobbesienne de la liberté, il n'y a aucune ambiguïté : l'individu est totalement déterminé à agir de telle façon, mais, en cas de liberté, l'action n'est pas physiquement nécessitée par les obstacles extérieurs des corps. Comme le fera remarquer plus tard Hume, l'ambiguïté, si ambiguïté il y a, est entretenue par la facilité qu'a l'esprit de glisser d'un sens du mot liberté (liberté d'action, de spontanéité) à l'autre (liberté de la volonté : libre arbitre). À ce sujet, voir Traité de la nature humaine et Enquête sur l'entendement humain. Pour terminer, on pourra noter que les formulations de ce paragraphe sont discutables, et que Hobbes prête au lecteur une rigueur et une attention aux définitions qu'il n'a peut-être pas toujours. (NdT)
[21] "Liberty and necessity are consistent". Le mot "compatibles" n'est peut-être pas parfait, car il peut laisser penser qu'on rend compatibles deux choses qui ne l'étaient pas. Raymond Paulin (in Hobbes, Dieu, et les hommes, PUF, 1981, p.127) propose une traduction simple mais efficace : "La liberté et la nécessité vont ensemble". En effet, elles s'accordent, elles coexistent (deux traductions possibles) d'emblée. (NdT)
[22] "as in the water that hath not only liberty, but a necessity of descending by the channel;". Idée simple mais traduction difficile. F. Tricaud avait introduit le très malheureux verbe "éprouver" ("qui n'éprouve pas seulement la liberté"), sur lequel ont peut-être inutilement glosé certains professeurs de philosophie. L'usage est certes reconnu. On peut dire d'une chose qu'elle éprouve quelque chose, au sens de subir une action; mais le verbe renvoie trop au langage des passions d'individus susceptibles de sensibilité et de conscience pour ne pas être proscrit. G. Mairet a fait la correction mais 1) ne rend pas correctement le verbe "to descend", et néglige donc une force à l’œuvre. 2) utilise le mot canal, alors que le "channel" est d'abord le lit d'une rivière ou d'un fleuve. Le mot canal, de nouveau, tend à éclipser la force déjà négligée par la mauvaise traduction de "to descend". (NdT)
[23] Hobbes est évidemment tout à fait conscient de l'importance de la question qu'il soulève. Il va atténuer (précaution bien vaine, quand on sait comment le Léviathan a été reçu) un peu plus loin cette affirmation en reconnaissant que les hommes désobéissent parfois aux prescriptions divines. (NdT)
[24] La question ne se pose pas vraiment de savoir si le verbe procèder, qui suit, a pour sujet "actions" ou "acte + désir + inclination". Dans tous les cas, la nécessité s'impose. (NdT)
[25] "manifest" : évidente, claire, manifeste. (NdT)
[26] F. Tricaud emploie ici un pluriel pour traduire "man". (NdT)
[27] "in doing what he will". (NdT)
[28] Précaution de Hobbes. Le texte latin dit "contraire aux lois divines". (NdT)
[29] En vérité, l'antécédent est dans la phrase le seul mot "appétit" : "of which appetite God's will is not the cause". (NdT)
[30] "the liberty of men would be a contradiction and impediment to the omnipotence and liberty of God". (NdT)
[31] Le verbe utilisé est "to fasten" : attacher, fixer, mais aussi assujettir. (NdT)
[32] Car des contrats sans la force (et la peur) ne sont en eux-mêmes que des mots. (NdT)
[33] "weak" : faibles. (NdT)
[34] "rules" et non "laws". G. Mairet (qui traduit par "lois") ne respecte pas le vocabulaire hobbesien uniquement pour éviter en français une répétition. Je pense qu'il faut, parmi les règles méthodologies de la traduction, préférer une répétition à l'infidélité. F. Tricaud lui-même évite cette répétition en traduisant le verbe "to regulate" par "présider à". (NdT)
[35] "all kinds of actions". F. Tricaud ("domaines d'activité") n'est pas fidèle au texte. (NdT)
[36] Le verbe utilisé est to "pretermit" qui a le même sens que "pass over" : passer sous silence, ne pas faire attention à, ne pas se préoccuper de. (NdT)
[37] Hobbes utilise un futur. (NdT)
[38] Hobbes, qui a utilisé précédemment le mot "liberty" utilise ici le mot "freedom", qu'il est assez difficile de rendre directement (même par affranchi, libéré, etc.) : "that is to say, freedom from chains and prison". (NdT)
[39] "to clamour" : crier, vociférer, demander à grands cris. (NdT)
[40] Dans l'Epître dédicatoire, Hobbes parle de "ceux qui luttent (...) pour une trop grande Liberté". F. Tricaud nous rappelle que le texte latin vise très directement l'histoire anglaise et parle des "rebelles", de ceux "qui se sont rebellés" alors qu'ils jouissaient manifestement de la liberté. F. Tricaud considère d'ailleurs que la comparaison, sur cette question, de la version anglaise et de la version latine donne un argument en faveur de l'antériorité du latin. (NdT)
[41] " if we take liberty for an exemption from laws". Pour le choix du verbe affranchir, voir l'étymologie de exemption : eximere : retirer, ôter, délivrer, affranchir, enlever. (NdT)
[42] Hobbes emploie ici le singulier. (NdT)
[43] Certains ont pu voir là le libéralisme de Hobbes. Or, en plaçant la théorie hobbesienne dans la durée, on devine que, vu les tensions occasionnées par le monde économique, le souverain doit être amené à légiférer de plus en plus sur les domaines qui ont été passés sous silence. Tout conflit, même mineur, est en effet pour notre auteur, un risque majeur pour la paix. Il n'est donc pas certain que la théorie hobbesienne soit compatible avec ce que nous connaissons des formes récentes du libéralisme. Des études resteraient à faire sur ce sujet. (NdT)
[44] A chaque fois, Hobbes utilise "own" (propre, privé, personnel) et il me semble très maladroit de le passer sous silence comme F. Tricaud et G. Mairet, puisque justement, il s'agit ici de définir la sphère privée de la liberté. (NdT)
[45] "injustice or injury". (NdT)
[46] "so that he never wanteth right to any thing". (NdT)
[47] F. Tricaud traduit ici "sovereign" par "suprême", ce qui n'est pas ici particulièrement justifié, et peut, de façon malheureuse, faire croire au lecteur que Hobbes a modifié son vocabulaire. (NdT)
[48] "and yet neither do the other wrong". (NdT)
[49] Juges, XI, 29-40. On rappellera que Jephté avait promis à Dieu de sacrifier la première personne qui sortirait de sa maison s'il remportait la victoire sur les fils d'Ammon. Cette personne fut sa fille unique. La version Darby donne : "Et l'Esprit de l'Éternel fut sur Jephthé; et il passa à travers Galaad et Manassé, et il passa par Mitspé de Galaad, et de Mitspé de Galaad il passa vers les fils d'Ammon. Et Jephthé voua un voeu à l'Éternel, et dit: Si tu livres en ma main les fils d'Ammon, il arrivera que ce qui sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai en paix des fils d'Ammon, sera à l'Éternel, et je l'offrirai en holocauste. Et Jephthé passa vers les fils d'Ammon pour combattre contre eux; et l'Éternel les livra en sa main; et il leur infligea une très-grande défaite, depuis Aroër jusqu'à ce que tu viennes à Minnith, leur prenant vingt villes, et jusqu'à Abel-Keramim; et les fils d'Ammon furent humiliés devant les fils d'Israël. Et Jephthé vint à Mitspa, dans sa maison; et voici, sa fille sortit à sa rencontre avec des tambourins et des danses; et elle était seule, unique: il n'avait, à part elle, ni fils ni fille. Et il arriva, quand il la vit, qu'il déchira ses vêtements, et dit: Ah, ma fille! tu m'as accablé, et tu es de ceux qui me troublent! car j'ai ouvert ma bouche à l'Éternel, et ne puis revenir en arrière. Et elle lui dit: Mon père, si tu as ouvert ta bouche à l'Éternel, fais-moi selon ce qui est sorti de ta bouche, après que l'Éternel t'a vengé de tes ennemis, les fils d'Ammon. Et elle dit à son père: Que cette chose me soit faite: laisse-moi pendant deux mois, et je m'en irai, et je descendrai sur les montagnes, et je pleurerai ma virginité, moi et mes compagnes. Et il lui dit: Va. Et il la renvoya pour deux mois. Et elle s'en alla, elle et ses compagnes, et pleura sa virginité sur les montagnes. Et il arriva, au bout de deux mois, qu'elle revint vers son père; et il accomplit à son égard le voeu qu'il avait voué. Et elle n'avait point connu d'homme. Et ce fut une coutume en Israël, que d'année en année les filles d'Israël allaient célébrer la fille de Jephthé, la Galaadite, quatre jours par année." (NdT)
[50] "Toute liberté" de F. Tricaud n'est pas justifié. Hobbes écrit : "had liberty". (NdT)
[51] Pour la fille de Jephté, cette formule signifie qu'elle n'était pas contrainte physiquement (contraintes extérieures) de sortir à ce moment, et elle ne peut rien signifier d'autre. De nouveau, on notera la maladresse de la formule hobbesienne, qui peut faire croire, à un lecteur inattentif, à la contingence de l'acte, mais on notera l'intelligence de l'exemple, puisque la fille de Jephté ne porte aucune responsabilité dans l'affaire, auquel cas la question de la liberté ne peut être que celle de la liberté de spontanéité. (NdT)
[52] "injury". Je crois qu'il est maladroit de traduire parfois par tort, parfois par injustice, même si Hobbes considère ces mots quasiment comme des synonymes. Je rappelle que je traduis systématiquement "injury" par "tort" et "injustice" par "injustice". (NdT)
[53] Il semble difficile de traduire "nevertheless" à la place choisie par F. Tricaud et G. Mairet, si l'on veut que la phrase soit cohérente. (NdT)
[54] 2. Samuel, XI, XII. David vit un soir, de sa terrasse, la très belle Bethsabée, femme de Urie le Hittite. Il la fit appeler et coucha avec elle. La femme tomba enceinte. David demanda qu'Urie soit en première ligne au plus fort de la bataille, ce qui ne manqua pas de provoquer sa mort. (NdT)
[55] Cette proposition n'est pas nécessairement claire : elle signifie qu'Urie est sujet de David. En tant que tel, le sujet reconnaît au souverain le droit de faire. David envoyant Urie à la mort est l'acteur de l'auteur Urie. Comme David ne tue pas directement Urie, F. Tricaud n'ose pas traduire littéralement Hobbes et choisit : "dans le cas de David causant la mort d'Urie", mais ce n'est pas une traduction fidèle. (NdT)
[56] 2. Samuel, XII, 13, et plus précisément, pour la formule dans les mêmes termes, Psaumes, 51 (50, v.6 dans la Vulgate).
[57] Sauf erreur de ma part, le verbe n'est pas ici pronominal, comme le croient F. Tricaud et G. Mairet. (NdT)
[58] L'ostracisme vise des hommes puissants ou populaires, susceptibles de s'emparer de l'Etat. On comprend ainsi qu'il n'est nullement nécessaire que celui qui est visé ait fait quelque chose de mal. Tout au contraire. (NdT)
[59] Le "il leur arrivait de .." de F. Tricaud ne correspond à rien dans le texte anglais. (NdT)
[60] N'oublions pas que le mot "ostracisme" vient du mot grace "ostrakon", coquille. (NdT)
[61] Homme politique athénien, général (v.~550~-v.~467, frappé d'ostracisme par l'action de son rival Thémistocle. Il se rendit célèbre par son intégrité dans la gestion des finances d'Athènes, et fut surnommé le Juste. (NdT)
[62] "a scurrilous jester". (NdT)
[63] Hyperbolos présenta une proposition d'ostracisme contre Alcibiade et Nicias (417?). Elus stratèges, ces derniers obtinrent le bannissement de cet obscur démagogue. (NdT)
[64] "jester" : bouffon, plaisantin. "to jest" : plaisanter, railler. L'ostracisme fut effectivement abandonné après le bannissement d'Hyperbolos, mais ce dernier acte n'était pas une bouffonnerie, sinon dans le fait qu'il touchait un démagogue obscur au lieu de toucher un homme célèbre (justement dangereux pour cela). (NdT)
[65] "wanted". (NdT)
[66] "to jest". (NdT)
[67] "amongst masterless men". (NdT)
[68] "in states and Commonwealths". G. Mairet, qui a traduit depuis le début "Commonwealth" par "Etat", est bien ici obligé de modifier sa traduction. (NdT)
[69] Le pronom "le", chez F. Tricaud, étonne. Ce pronom renvoie évidemment à la République. (NdT)
[70] "upon the confines of battle" : littéralement "aux confins de la bataille". Racine : "finis" : limite. (NdT)
[71] "round about" : l'idée n'est pas nécessairement celle de voisins autour. "to turn round about" signifie, par exemple, tout simplement, se retourner vers.
[72] Ville de Toscane. (NdT)
[73] "that a particular man has more liberty or immunity from the service of the Commonwealth". (NdT)
[74] "mistake that for their private inheritance and birthright which is the right of the public only". (NdT)
[75] "sedition and change of government". La traduction de "change" par "subversion" (G. Mairet) est correcte. F. Tricaud traduit par "révolution". (NdT)
[76] "derived". (NdT)
[77] "practise" : pratique, habitude, coutume, usage. (NdT)
[78] Livre VI (Note de l'auteur).
[79] "In democracy, liberty is to be supposed". Je pense qu'il faut nécessairement conserver le verbe supposer (étymologiquement : mettre sous) qui correspondrait au mot grec "upothesis" (fondement) utilisé par Aristote dans le passage (1317a 40). La traduction J. Tricot donne (Vrin) : "Le principe fondamental sur lequel repose la constitution démocratique est la liberté (c'est là une assertion courante, impliquant que c'est sous cette seule constitution que les hommes ont la liberté en partage, ce qui est, dit-on, le but visé par toute démocratie). (NdT)
[80] "civil doctrine". (NdT)
[81] "under a false show of liberty". La traduction de G. Mairet ("ayant une vue faussée de ce qu'est la liberté") n'est pas très fidèle. Hobbes veut dire que les hommes se font alors, dans l'erreur où ils sont, les défenseurs visibles de la liberté (dans la fausse argumentation et dans l'action). Ils offrent, à ceux qui ne connaissent pas les véritables fondements de la théorie politique, une apparence de lutte pour la liberté, alors qu'ils ne font, sans le savoir véritablement, par ignorance, que ramener à l'état de guerre. (NdT)
[82] "to control". Ce verbe a même un sens plus fort. Le plus souvent, il veut dire diriger, superviser. Il y a là une prétention à créer une souveraineté au-dessus du souverain, et cela sans fin, comme l'indique la suite. (NdT)
[83] "and of licentious controlling the actions of their sovereigns". (NdT)
[84] "truly". (NdT)
[85] " the true liberty of a subject". (NdT)
[86] "by owning". (NdT)
[87] "obligation and liberty". (NdT)
[88] "to". G. Mairet néglige le sens de ce "to" et l'ordre des contractants dans la phrase. (NdT)
[89] "it is manifest". (NdT)
[90] "or to abstain". La traduction de G. Mairet ("renoncer") étonne. (NdT)
[91] "If a man be interrogated by the sovereign, or his authority". (NdT)
[92] Le "fait miennes" de G. Mairet est correct. (NdT)
[93] F. Tricaud néglige "own". (NdT)
[94] "was ordained" : fut ordonnée (au sens que peut avoir le verbe ordonner : élever à une fonction), fut établie. (NdT)
[95] Exactement : "upon this ground". (NdT)
[96] La traduction de G. Mairet ("C'est aussi ce qui doit être autorisé") n'est pas fidèle. L'expression "to make allowance for" signifie tenir compte, avoir égard à. De toute façon, le verbe "tolérer" eût été plus indiqué que le verbe "autoriser". (NdT)
[97] "for natural timorousness". F. Tricaud fait du substantif un adjectif, et de l'adjectif un substantif : "naturel timoré". (NdT)
[98] "or taketh impressed money". Le verbe "to impress" signifie enrôler de force (ou réquisitionner). "impress money" est l'expression qui désigne la prime qui était parfois donnée au moment d'un engagement. Littéralement "argent de l'enrôlement". Il n'est pas certain que cette prime ait été toujours considérée comme une avance, comme le pense F. Tricaud (G. Mairet suit), sur la solde ("prêt"). En tout cas, cette somme engage le soldat et a valeur de contrat. (NdT)
[99] Hobbes utilise l'expression qu'il avait utilisé plus haut : "to bear arms" (exactement "their bearing of arms") : porter les armes, non seulement au sens d'avoir une arme (ce qui est courant à l'époque) mais d'être prêt à combattre. La meilleure traduction eût été : "continuer de résister par les armes". La traduction de G. Mairet ("prendre les armes") n'est pas adaptée, car ces hommes ont déjà pris les armes. (NdT)
[100] "the plea of self-defence". (NdT)
[101] "they depend on the silence of the law". (NdT)
[102] "according to his own discretion". (NdT)
[103] "convenient". (NdT)
[104] F. Tricaud se trompe en rapportant "by force" au seul verbe "to dispossess". (NdT)
[105] "statute" : acte du parlement, loi. (NdT)
[106] "is not allowed". Le "n'existe" pas de G. Mairet est insuffisant. (NdT)
[107] "grounded on a precedent law". (NdT)
[108] " to sue for his right". (NdT)
[109] Autrement dit, le juge est l'une des parties. F. Tricaud rappelle que le texte latin dit : "le juge du litige sera le détenteur du pouvoir suprême." (NdT)
[110] "by force of a former law, and not by virtue of his power". (NdT)
[111] "no more than shall appear to be due by that law". Le verbe "to appear", outre son sens habituel (apparaître, paraître, devenir visible, se manifester), est employé dans le domaine juridique pour désigner une comparution ou une plaidoierie. (NdT)
[112] "the suit". Il faut entendre ici l'action juridique intentée par le sujet. (NdT)
[113] "to demand the hearing of his cause". F. Tricaud utilise le verbe "introduire" qui appartient en effet à la terminologie juridique, mais l'expression "introduire une cause" semble, sauf erreur de ma part, assez rare en français. (NdT)
[114] "by pretence of his power". Hobbes utilise les mots "pretence" et "to pretend" dans un sens qui semble aujourd'hui vieilli (aujourd'hui ces mots ont largement tendance à renvoyer à la simulation, à la feinte, au prétexte). Hobbes veut ici dire "au titre de son pouvoir", "en vertu de son pouvoir" (il l'utilise d'ailleurs plus loin l'expression "in virtue of his power"). (NdT)
[115] "brings". Le verbe "to bring" appartient aussi à la terminologie juridique : comparaître, amener dans un tribunal, porter à la connaissance du tribunal, etc.. (NdT)
[116] Et non "quelque liberté", comme le traduit F. Ticaud : "a liberty". (NdT)
[117] "directly". Traduction difficile, car le mot peut signifier soit immédiatement, soit directement, soit absolument. La traduction de F. Tricaud ("expressément") ne me semble pas fidèle (quand Hobbes veut exprimer cette idée, il utilise systématiquement le mot "express" dans une formule composée), à moins qu'on ne donne aussi un sens temporel à l'adverbe. Le choix du mot "immédiatement" (au sens temporel uniquement) me semble indiqué par la formule précédente, elle aussi temporelle, "which grant standing". Néanmoins, celui qui voudrait défendre la traduction de F. Tricaud pourrait faire remarquer les termes et expressions de la suite, "openly (...) and in plain terms". G. Mairet traduit prudemment par "directement", et un lecteur serait en droit de lui reprocher cette prudence. (NdT)
[118] "he might openly (if it had been his will), and in plain terms". (NdT)
[119] Des fonctionnaires. (NdT)
[120] "can by no covenant be relinquished". (NdT)
[121] "the soul". (NdT)
[122] "obedience". Le "soumission" de F. Tricaud n'est pas fidèle au texte. (NdT)
[123] Passage assez compliqué : "nature applieth his obedience to it, and his endeavour to maintain it". La traduction de G. Mairet laisse sceptique : "la nature requiert l'obéissance et l'effort en vue de maintenir la protection." A ma connaissance, le verbe "to apply" n'a jamais ce sens. Il signifie appliquer, au sens habituel, mais aussi diriger (au sens où l'on s'applique à une tâche, où l'on dirige ses efforts vers cette tâche, où l'on fait porter les efforts). Ici la nature dirige l'homme, le porte à, conduit l'homme à (choix de F. Tricaud), le détermine, pourrait-on dire sans trahir Hobbes. Quant au verbe "to maintain", il signifie maintenir, soutenir, conserver, défendre, etc.. Pourquoi l'individu devrait-il soutenir l'épée qui le protège? La chose n'est nullement paradoxale car le pouvoir du souverain ne peut se maintenir que si les sujets remplissent leurs devoirs. Parmi ces devoirs, il y a évidemment la défense du souverain (la guerre n'étant que le cas limite). (NdT)
[124] L'anglais dit simplement "it hath in it". (NdT)
[125] Le texte dit simplement "par discorde intestine". (NdT)
[126] Le verbe utilisé est "to give". (NdT)
[127] "if he be detained". Le sens est bien celui d'une détention. F. Tricaud choisit "retenu", pour une raison qui peut se comprendre : il veut éviter qu'on ne confondre ce cas, compatible avec un assujetissement, et le cas suivant, où cet assujetissement n'est pas possible. Mais le lecteur fera facilement la différence entre une détention dans les limites des frontières (1er cas) et une détention physique dans une prison (2ème cas). On notera que dans le deuxième cas, Hobbes n'utilise pas "to detain", mais "to be held" (to hold), qui a sensiblement le même sens (être retenu) ici, mais avec l'idée d'un empêchement, d'un arrêt, de conditions directement physiques de détention. Le verbe "to hold" est d'abord utilisé pour désigner l'acte de tenir avec ses mains. Si la distinction est comprise, le vocabulaire n'a guère d'importance. Dans le dernier paragraphe du chapitre, F. Tricaud traduira "to be held" par "être retenu". (NdT)
[128] "is not trusted with the liberty of his body". to trust : se fier à, mettre sa confiance en quelqu'un. L'idée ici est celle d'une non remise au prisonnier de sa liberté par manque de confiance. G. Mairet laisse échapper le sens en choisissant : "qui ne dispose pas de ...". La traduction de F. Tricaud ("qu'on ne lui accorde pas la liberté physique sur parole") est tout à fait fidèle à l'esprit du passage. (NdT)
[129] Et non "de l'état de nature", comme le traduit F. Tricaud. (NdT)
[130] "may declare". (NdT)
[131] L'idée n'est pas claire. Comment la nature, en dehors de ressemblances physiques qui ne peuvent donner aucune certitude, peut-elle faire savoir qui sont les fils et les plus proches parents? (NdT)
[132] La proposition "If therefore he will have no heir" peut aussi signifier "Si donc il n'a pas d'héritier" (littéralement : si donc il n'aura pas d'héritier). La différence de traduction n'a aucune incidence sur le raisonnement. (NdT)
[133] Littéralement "son sujet", qu'on ne peut rendre tel quel en français. (NdT)
[134] "to send on" : faire suivre, transmettre. (NdT)
[135] "à l'étranger" n'est pas dans le texte. Je l'ajoute. (NdT)
[136] "a privilege" : un privilège. La traduction "mesure d'exception" (F. Tricaud) n'est évidemment pas fausse, mais elle n'est pas précisément justifiée. (NdT)
[137] On peut penser à Richard Ier Coeur de Lion et à la tentative de Jean sans terre de s'emparer du trône pendant la captivité du monarque. (NdT)
[138] Les deux verbes utilisés, ici synonymes sont 1) "to name" 2) "to appoint". (NdT)