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Notre histoire

visages  de la pauvreté
lire Rousseau

Victor Hugo, Les Quatre Vents de l’esprit, 1881.

Écrit après la visite d’un bagne

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Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne1
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.
La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat.
Faute d’enseignement, on jette dans l’état2
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral3
,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c’est notre loi première,
Et du suif4
le plus vil faisons une lumière.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.
Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme ;
Et la société leur a volé leur âme.
Jersey, 27 février 1853

  • Expliquer :

  • l’école est sanctuaire. Chercher le sens de « sanctuaire », « chapelle »

  • « l’école en or change le cuivre, Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or »

  • A quoi V. Hugo rattache-t-ll l’ignorance ? Quelle est la différence avec ce qu’en dit Kant, dans cet extrait ? V. Hugo ne s’inscrit pas dans une démarche universaliste à la différence de Kant. Il modifie le concept d’universel. Expliquer.

  • La raison suffit-elle pour Victor Hugo à sortir l’homme de son ignorance ?

  • Pourquoi en appelle-t-il à une institution ?

Quels sont les points communs à V. Hugo et cet extrait du texte de Kant ? Réponse à la question : « Qu’est-ce que les Lumières ? »
Les « Lumières » se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute lorsqu’elle résulte non pas d’une insuffisance de l’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières. Paresse et lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute tutelle étrangère (naturaliter maiorennes)2, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de les diriger. Il est si commode d’être mineur. Si j’ai un livre pour me tenir lieu d’entendement, un directeur pour ma conscience, un médecin pour mon régime... je n’ai pas besoin de me fatiguer moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront à ma place de ce travail fastidieux. Et si la plupart des hommes (et parmi eux le sexe faible en entier) finit par considérer comme dangereux le pas - en soi pénible - qui conduit à la majorité, c’est que s’emploient à une telle conception leurs bienveillants tuteurs, ceux-là mêmes qui se chargent de les surveiller. Après avoir rendu stupide le bétail domestique et soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent faire un pas hors du parc où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qu’il y aurait à marcher seuls. Or le danger n’est sans doute pas si grand, car après quelques chutes ils finiraient bien par apprendre à marcher, mais de tels accidents rendent timorés et font généralement reculer devant toute nouvelle tentative.

Approfondir : quel est le but d’une institution politique ?

Le discours de Victor Hugo appuie la proposition d’Armand de Melun visant à constituer un comité destiné à « préparer les lois relatives à la prévoyance et à l’assistance publique ».

 

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On voit au XVIII siècle, un modèle architectural qui symbolise l’avènement des prisons modernes.

LA THÈSE

En 1791, avec l’instauration du Code pénal et de la prison comme peine, l’Assemblée nationale fait imprimer Panoptique. Mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection et nommément des maisons de force de Jeremy Bentham. Voulant améliorer l’hygiène morale et matérielle des mouroirs que sont les geôles d’Ancien Régime, Bentham propose la « réforme complète dans les prisons » en une « simple idée d’architecture ».

Il imagine une « maison de pénitence » circulaire qui déploie sur sa circonférence des cellules ouvertes vers l’intérieur du bâtiment. Au centre, la tour d’inspection. Invisible des détenus, le surveillant y aperçoit tout en une minute. Il scrute les reclus. S’il est absent, l’« opinion de sa présence est aussi efficace que sa présence même » ! Ce procédé se nomme « panoptique ». Il dit en un « seul mot son avantage essentiel, la faculté de voir d’un coup d’oeil tout ce qui s’y passe ». Son gain sécuritaire est infini : « être constamment sous les yeux d’un inspecteur, c’est perdre en effet la puissance de faire le mal, et presque la pensée de le vouloir ».

Convertible en chapelle et en école pour l’édification religieuse et morale, séparant les femmes et les hommes, distribuant les détenus en « petites compagnies » (âge, dangerosité, zèle, repentir), changeant le labeur en « consolation et en plaisir », le panoptique forge la « bonne conduite actuelle » et la « réformation future des prisonniers ». Via la « douceur », il régénère le détenu amendé en citoyen utile. Ainsi triomphe la « simple idée d’architecture » pour l’utilité pénale. 

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