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Les limites de la tolérance

Peut-on tout accepter ? 

Exercices

INTOLÉRANCE, s. f : (Morale). Il est impie d'exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d'injustice, d'insociabilité, même dans le dessein d'y ramener ceux qui s'en seraient malheureusement écartés.
L'esprit ne peut acquiescer qu'à ce qui lui paraît vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La violence fera de l'homme un hypocrite, s'il est faible ; un martyr, s'il est courageux. Faible et courageux, il sentira l'injustice de la persécution et s'en indignera.
L'instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens légitimes d'étendre la religion.
Tout moyen qui excite la haine, l'indignation et le mépris, est impie.
Tout moyen qui réveille les passions et qui tient à des vues intéressées, est impie.
Tout moyen qui relâche les liens naturels et éloigne les pères des enfants, les frères des frères, les sœurs des sœurs, est impie.
Tout moyen qui tendrait à soulever les hommes, à armer les nations et tremper la terre de sang, est impie.
Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, règle universelle des actions. Il faut l'éclairer et non la contraindre.
Les hommes qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.
Il ne faut tourmenter ni les hommes de bonne foi ni les hommes de mauvaise foi, mais en abandonner le jugement à Dieu.
Si l'on rompt le lien avec celui qu'on appelle impie, on rompra le lien avec celui qu'on appellera avare, impudique, ambitieux, colère, vicieux. On conseillera une rupture aux autres, et trois ou quatre intolérants suffiront pour déchirer toute la société.
Si l'on peut arracher un cheveu à celui qui pense autrement que nous, on pourra disposer de sa tête, parce qu'il n'y a point de limites à l'injustice. Ce sera ou l'intérêt, ou le fanatisme, ou le moment, ou la circonstance qui décidera du plus ou du moins de mal qu'on se permettra.
Si un prince infidèle demandait aux missionnaires d'une religion intolérante comment elle en use avec ceux qui n'y croient point, il faudrait ou qu'ils avouassent une chose odieuse, ou qu'ils mentissent, ou qu'ils gardassent un honteux silence.
Qu'est-ce que le Christ a recommandé à ses disciples en les envoyant chez les nations ? Est-ce de tuer ou de mourir ? Est-ce de persécuter ou de souffrir ?
Saint Paul écrivait aux Thessaloniciens : « Si quelqu'un vient vous annoncer un autre Christ, vous proposer un autre esprit, vous prêcher un autre évangile, vous les souffrirez. » Intolérants, est-ce ainsi que vous en usez même avec celui qui n'annonce rien, ne propose rien, ne prêche rien ?
Il écrivait encore : ne traitez point en ennemi celui qui n'a pas les mêmes sentiments que vous, mais avertissez-le en frère. Intolérants, est-ce là ce que vous faites ?

 

> Encyclopédie, 1751

1) En 1689, dans Lettre sur la tolérance, Locke s’insurge face aux horreurs commises au nom de la religion : quels usages l’insupportent particulièrement ? Il oppose le fer et le feu à l’Évangile et à l’exemple des bonnes mœurs, les dragons aux « légions célestes » : quelles sont ses conclusions quant à la légitimité des conversions contraintes et de ceux qui les imposent ? Locke pose la tolérance comme exigence d’autant plus nécessaire qu’elle est liée fondamentalement à l’Évangile. Son raisonnement, qui pointe les hypocrisies et les crimes sous couvert de la religion, conduit à la « nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l'exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et ceux de l'autre. » Pourquoi ? Quelle évolution majeure, et plus tardive, annonce cette analyse ?

 

Diderot se réfère à Saint-Paul dans l’article « Intolérance » de l’Encyclopédie (1751) : qui sont les intolérants auxquels il s’adresse ? En affirmant : « L’instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens légitimes d’étendre la religion », quels sont les moyens qu’il exclut radicalement ?
 
> Lettre sur la Tolérance, Locke, 1689
> Encyclopédie, article « Intolérance », Diderot, 1751

 

2) Le siècle des Lumières exacerbe les tensions entre les philosophes et les ecclésiastiques qui veulent imposer leur loi. Voltaire en particulier lutte sans relâche contre l’obscurantisme religieux : il le condamne dans la  partie « Inquisition » de Essai sur les mœurs (1756), le dénonce dans Candide (1759). Son Dictionnaire philosophique sera cloué sur le torse du chevalier de la Barre, supplicié et décapité en 1766 à Abbeville pour blasphème – Voltaire l’évoquera dans l’article « Torture » d’une édition ultérieure. Dans Essai sur les mœurs, quelles contradictions de l’Inquisition dénonce Voltaire ? Quelle est la place du roi, est-elle satisfaisante de son point de vue ? Que signale le terme « jurisprudence » à la fin du texte ? Dans Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763), Voltaire choisit de s’adresser directement à Dieu, pourquoi ? Qui sont les destinataires de son texte ?

> Essai sur les mœurs, Voltaire, 1756
> Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, Voltaire, 1763

 

 

 

La peur au coeur de la tolérance

 

 

       Après le désastre de Lisbonne, face au désarroi des hommes, les pouvoirs s’organisent. L’Inquisition, tribunal religieux fondé par l'Église catholique au XIIe siècle pour lutter contre les hérésies, s’efforce de donner un sens au chaos en désignant des coupables et en les condamnant lors d’autodafés, présentés par Voltaire dans Précis du siècle de Louis XV comme un « acte de foi, que les autres nations regardent comme un acte de barbarie ». Historiquement, des autodafés ne semblent pas avoir eu lieu en relation directe avec le tremblement de terre, leur principe néanmoins était, par ces sacrifices, de punir « au nom de dieu » les égarements afin que la communauté soit épargnée. L’Exécution des criminels condamnés par l'Inquisition au Portugal présente une scène d’autodafé : à partir de quel centre est-elle organisée, quelle impression d’ensemble reflète-t-elle ? Le second document expose le vêtement d’un condamné : quels sont les codes repris et détournés dans cette tenue ? Le troisième document rend compte du processus soigneusement construit, de l’enquête au supplice, pour obtenir l’aveu du condamné. En comparant ces gravures avec celles de l’album présentant le désastre, en particulier la première, Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, quelle finalité semble animer cette recherche de l’ordre et cette instauration de codes ?


 

 

 

 

 


3) Le désenchantement de Voltaire modifie sa réflexion sur la religion et la Providence. La critique se traduit dans Candide par des représentants de la religion qui s’adonnent au vol, à la luxure, à l’hypocrisie et sombrent dans les égarements du fanatisme. L’hostilité de Voltaire se porte non pas sur la religion mais sur son interprétation humaine et sur la place que celle-ci occupe dans l’ordre social ; il dénonce les représentants officiels de l’Église mais aussi les matérialismes systématiques pour qui la religion n’a plus aucune place.
Se dessine alors en creux une définition possible de la religion telle que la souhaiterait Voltaire et telle qu’elle apparaît dans la cinquième question posée dans l’article « Religion » du Dictionnaire philosophique : «  Après notre sainte religion, qui sans doute est la seule bonne, quelle serait la moins mauvaise ? Ne serait-ce pas la plus simple ? Ne serait-ce pas celle qui enseignerait beaucoup de morale et très peu de dogmes ? celle qui tendrait à rendre les hommes justes sans les rendre absurdes ? celle qui n’ordonnerait point de croire des choses impossibles, contradictoires, injurieuse à la Divinité et pernicieuses au genre humain, et qui n’oserait point menacer des peines éternelles quiconque aurait le sens commun ? […] celle qui n’enseignerait que l’adoration d’un Dieu, la justice, la tolérance et l’humanité ? » Cet idéal a-t-il été atteint ? Est-il envisageable ?

 > Dictionnaire philosophique, article « Religion », Voltaire, 1764

 

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Réflexion

Apparu en 1688, le mot fanatisme suit l’évolution sémantique de « fanatique », venu du latin « fanaticus » désignant les prêtres de Cybèle ou d’Isis lorsqu’ils se livraient à des manifestations d’enthousiasme. Le mot « fanatisme » est opposé au XVIIIe siècle à la philosophie, comme en témoigne l’article « Fanatisme » du Dictionnaire philosophique de Voltaire, qui explique la notion par la métaphore de la maladie : « Il n’y a remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent par contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. »
Voltaire condamne sans réserve le fanatisme qui ignore les lois et corrompt les religions. Selon Victor Hugo (William Shakespeare, 1864), « Rien n'égale la puissance de surdité volontaire des fanatismes ». Le philosophe Alain déplore l’aspect mécanique d’une pensée fanatique « car elle revient toujours par les mêmes chemins. Elle ne cherche plus, elle n'invente plus. Le dogmatisme est comme un délire récitant. Il y manque cette pointe de diamant, le doute, qui creuse toujours » (Propos sur des philosophes, 1961). Qu’en est-il au XXIe siècle ? Le fanatisme est-il toujours présent ? La philosophie peut-elle toujours aider à le combattre ? Imaginez-vous d’autres solutions ?

> Dictionnaire philosophique, article « Fanatisme », Voltaire, 1764
> Propos sur des philosophes, Alain, 1961

 

Invention

En 1689, Locke rédige une Lettre sur la tolérance pour dénoncer les agissements coupables menés au nom de la religion. Observez dans l’actualité des conflits, des affrontements qui ont pour fondement une question religieuse, ou pour lesquels celle-ci est mentionnée : imaginez une « lettre sur la tolérance » contemporaine pour rendre compte de la situation et faire cesser ces crimes. Vous pouvez vous inspirer du texte de Locke pour analyser les faits, affuter votre raisonnement et rédiger une argumentation imparable !

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