ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE
RESSOURCES philosophiques
de l'académie de Créteil
« S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. » ROUSSEAU
Crédulité
Les oracles
Fontenelle : histoire des oracles
extrait :
L’antiquité est pleine de je ne sais combien d’histoires surprenantes et d’oracles qu’on croit ne pouvoir attribuer qu’à des génies. Nous n’en rapporterons que quelques exemples, qui représenteront tout le reste. Tout le monde sait ce qui arriva au pilote Thamus. Son vaisseau étant un soir vers de certaines îles de la mer Égée, le vent cessa tout à fait. Tous les gens du vaisseau étaient bien éveillés ; la plupart même passaient le temps à boire les uns avec les autres, lorsqu’on entendit tout d’un coup une voix qui venait des îles, et qui appelait Thamus. Thamus se laissa appeler deux fois sans répondre ; mais à la troisième il répondit. La voix lui commanda que, quand il serait arrivé à un certain lieu, il criât que le grand Pan était mort. Il n’y eut personne qui ne fût saisi de frayeur et d’épouvante. On délibérait si Thamus devait obéir à la voix : mais Thamus conclut que si, quand ils seraient arrivés au lieu marqué, il faisait assez de vent pour passer outre, il ne fallait rien dire ; mais que si un calme les arrêtait là, il fallait s’acquitter de l’ordre qu’il avait reçu. Il ne manqua point d’être surpris d’un calme à cet endroit-là, et aussitôt il se mit à crier de toute sa force que le grand Pan était mort. À peine avait-il cessé de parler, que l’on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d’un grand nombre de personnes surprises et affligées de cette nouvelle. Tous ceux qui étaient dans le vaisseau furent témoins de l’aventure. Le bruit s’en répandit en peu de temps jusqu’à Rome ; et l’empereur Tibère, ayant voulu voir Thamus lui-même, assembla des gens savants dans la théologie païenne, pour apprendre d’eux qui était ce grand Pan ; et il fut conclu que c’était le fils de Mercure et de Pénélope. C’est ainsi que, dans le dialogue où Plutarque traite des oracles qui ont cessé, Cléombrote conte cette histoire, et dit qu’il la tient d’Épithersès, son maître de grammaire, qui était dans le vaisseau de Thamus lorsque la chose arriva. Thulis fut un roi d’Égypte, dont l’empire s’étendait jusqu’à l’Océan. C’est lui, à ce qu’on dit, qui donna le nom de Thulé à l’île qu’on appelle présentement Islande. Comme son empire allait apparemment jusque-là, il était d’une belle étendue. Ce roi, enflé de ses succès et de sa prospérité, alla à l’oracle de Sérapis, et lui dit : — Toi qui es le maître du feu, et qui gouvernes le cours du ciel, dis-moi la vérité. Y a-t-il jamais eu et y aura-t-il jamais quelqu’un aussi puissant que moi ? L’oracle lui répondit : — Premièrement Dieu, ensuite la parole et l’esprit avec eux, tous s’assemblant en un, dont le pouvoir ne peut finir. Sors d’ici promptement, mortel, dont la vie est toujours incertaine. Au sortir de là, Thulis fut égorgé. Eusèbe a tiré des écrits mêmes de Porphyre, ce grand ennemi des chrétiens, les oracles suivants : 1. Gémissez, trépieds, Apollon vous quitte ; il vous quitte, forcé par une lumière céleste. Jupiter a été, il est, et il sera. Ô grand Jupiter ! hélas ! mes fameux oracles ne sont plus. 2. La voix ne peut revenir à la prêtresse : elle est déjà condamnée au silence depuis longtemps. Faites toujours à Apollon des sacrifices dignes d’un Dieu. 3. Malheureux prêtre, disait Apollon à son prêtre, ne m’interroge plus sur le divin Père, ni sur son Fils unique, ni sur l’Esprit qui est l’âme de toutes choses. C’est cet Esprit qui me chasse à jamais de ces lieux. Auguste, déjà vieux, et songeant à se choisir un successeur, alla consulter l’oracle de Delphes. L’oracle ne répondait point, quoique Auguste n’épargnât pas les sacrifices. À la fin cependant il en tira cette réponse : « L’enfant hébreu, à qui tous les dieux obéissent, me chasse d’ici, et me renvoie dans les enfers. Sors de ce temple sans parler. » Il est aisé de voir que sur de pareilles histoires, on n’a pas pu douter que les démons ne se mêlassent des oracles. Ce grand Pan qui meurt sous Tibère, aussi bien que Jésus-Christ est le maître des démons, dont l’empire est ruiné par cette mort d’un Dieu si salutaire à l’univers ; ou si cette explication ne vous plaît pas, car enfin on peut, sans impiété, donner des sens contraires à une même chose, quoiqu’elle regarde la religion, ce grand Pan est Jésus-Christ lui-même, dont la mort cause une douleur et une consternation générales parmi les démons, qui ne peuvent plus exercer leur tyrannie sur les hommes. C’est ainsi qu’on a trouvé moyen de donner à ce grand Pan deux faces bien différentes. L’oracle rendu au roi Thulis, un oracle si positif sur la sainte Trinité, peutil être une fiction humaine ? Comment le prêtre de Sérapis aurait-il deviné un si grand mystère, inconnu alors à toute la terre et aux Juifs mêmes ? Si ces autres oracles eussent été rendus par des prêtres imposteurs, qui obligeait ces prêtres à se discréditer eux-mêmes et à publier la cessation de leurs oracles ? N’est-il pas visible que c’étaient des démons que Dieu même forçait à rendre témoignage à la vérité ? De plus, pourquoi les oracles cessaient-ils, s’ils n’étaient rendus que par des prêtres ?